V 1 à 13 : précédents
israélites
a. V 1 à 5 :
des expériences communes
La pensée qu’a évoquée Paul du risque de la
disqualification pour le chrétien n’est pas une pensée personnelle. Elle
s’appuie sur de nombreux précédents historiques que relate l’Ancien Testament.
Cette disqualification, rappelons-le, ne consiste pas en la perte du salut,
mais dans le fait d’être privé de la participation glorieuse aux bénéfices de
notre engagement pour lui dans le royaume de Dieu. Tous les Israélites qui sont
sortis d’Egypte, rappelle l’apôtre, ont eu part aux mêmes expériences
rédemptrices. Tous cependant n’ont pas connu la même fin. Une grande partie ne
sont pas entrés dans le pays promis, mais sont morts dans le désert. En
évoquant ces épisodes malheureux, Paul veut que nous soyons, en tant que
chrétiens, conscients d’une chose : si notre salut est entièrement l’œuvre
de Dieu, la mesure de gloire qui nous attend dans les cieux est de notre
responsabilité.
Quelles sont les expériences qui, à la sortie
d’Egypte, furent communes à tous les Israélites ? Paul en cite deux qui
ressemblent fort aux expériences spirituelles communes à tous les enfants de
Dieu, nés en Christ :
-
La première touche au baptême que, sous la
conduite de Moïse, les Israélites ont vécu dans la nuée et dans la mer Rouge.
La chronologie donnée ici par Paul n’est pas donnée au hasard. Elle correspond
à la réalité de leur expérience. Les Israélites ont passé au travers de la nuée
avant de traverser la mer Rouge. La nuée comme la mer Rouge furent pour chacun
d’eux un moment décisif. Alors qu’ils étaient acculés à la mer et en passe
d’être rejoints par leurs poursuivants, les Israélites se virent littéralement
sauvés par la nuée, une barrière de feu infranchissable par les Egyptiens (Exode 14,19-20). Il en fut de même pour le passage à
travers la mer. La nuée disparaissant soudainement, l’armée d’Egypte crut
pouvoir rattraper les Israélites en s’engouffrant après eux dans le couloir que
Dieu avait ouvert dans la mer. Ce fut pour sa perte qu’elle s’y essaya. Source
de salut pour les Israélites, le passage à travers la mer fut le tombeau des
Egyptiens (Exode 14,21 à 31).
Comme Paul le fait en associant
en un seul baptême les deux passages, il nous faut noter la simultanéité de la
double expérience vécue par les Israélites. Les deux récits se suivent dans le
livre de l’Exode sans que rien ne se passe entre eux. Cette juxtaposition des
deux faits justifie l’affirmation de Paul selon laquelle il y a un seul baptême
chrétien, dont celui vécu par les Israélites est le précédent (Ephésiens 4,5). Ce baptême est un baptême en Christ,
dans le Saint-Esprit (dont la nuée est le symbole) et dans l’eau (dont le
passage dans la mer est le type) (Romains 6,3-5 ;
1 Corinthiens 12,13 ; Actes 2,41), une expérience commune à chaque
enfant de Dieu.
-
La seconde touche à la nourriture et au breuvage
qui firent vivre les Israélites dans le désert. Tous les matins, sauf le jour
du sabbat, les Israélites dans le désert vécurent du miracle quotidien de la
manne, une nourriture qui leur était fournie directement du ciel en quantité
suffisante (Exode 16). Plus étrange encore, ils
s’étanchaient pour leur soif à l’eau provenant d’un mystérieux rocher que Moïse
devait frapper et qui les suivait pas à pas dans leurs pérégrinations (Exode 17,6).
Comme il en est du baptême dans la nuée et
dans l’eau, les deux récits qui ont trait à ces phénomènes se suivent sans que
rien ne s’interpose entre eux dans le livre de l’Exode. Ils témoignent pour le
chrétien de la double ressource que représente Christ pour sa vie, fait
illustré également par la Cène (Jean 6,55). Oui,
Jésus nous le dit Lui-même : les pères dans le désert ont mangé de la
manne, ce pain qui leur était donné du ciel. Mais Il est, Lui, le vrai pain qui
descend du ciel, le pain de vie qui, seul, peut donner la vie au monde (cf Jean 6,30 à 35). Il est aussi Celui qui, comme le
rocher, a été frappé pour nous, de telle manière que, de Ses blessures, sort le
remède qui nous guérit. Jésus nous le promet : quiconque boit de l’eau
qu’Il nous donne n’aura plus jamais soif. Au contraire, l’eau qu’Il donne
devient pour qui la reçoit une source qui jaillit jusque dans la vie éternelle (Jean 4,14).
Qui que
nous soyons, enfants de Dieu, nous sommes, comme chacun des Israélites sortis
d’Egypte, au bénéfice des mêmes expériences. Aucun de nous, pour une raison ou
une autre, ne peut se plaindre d’avoir reçu moins que son frère. La même vie,
le même Esprit, la même grâce ont été donnés à chacun. Ils ne suffiront pas cependant pour que chacun
connaisse le même parcours. Alors qu’ils étaient des milliers à avoir été
baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, puis à avoir mangé et bu du don
de Dieu dans le désert, la plupart, relève Paul, n’atteignit pas le pays de la
promesse. La cause en revient à une seule chose : leur rébellion
récurrente à l’égard de Dieu. Or, la même rébellion habite nos cœurs. Prenons
exemple de ce qui a causé la chute des Israélites et veillons particulièrement
à ne pas les suivre dans leurs voies. Car il se pourrait bien que, comme eux,
nous soyons privés de la plénitude qui nous est réservée !
b. v 6 à 10 :
les causes courantes de chute
Au regard
du parcours d’Israël dans le désert, Paul relève, parmi d’autres, quatre
exemples de chute lourde de conséquences pour le peuple de Dieu. Cet
échantillon choisi par l’apôtre ne l’est pas par hasard. Il est représentatif
pour le peuple de Dieu de la nouvelle alliance de quatre risques desquels il
ferait bien de prendre garde, s’il ne veut pas connaître la même mésaventure
que ses aînés israélites dans la foi.
Le
premier risque est celui de l’idolâtrie. Alors qu’Israël avait vu la grandeur
et la puissance de Dieu se manifester contre l’Egypte et ses dieux, on aurait
pu croire qu’il en serait immunisé pour toujours. Il n’en est rien. Moïse
absent, il ne faudra pas plus de 40 jours pour que le peuple presse Aaron, son
frère, de leur fabriquer « un dieu qui marche devant eux ». Le
résultat en sera l’épisode du veau d’or que le peuple célébrera par de grandes
réjouissances (Exode 32,1 à 6). L’idolâtrie, qui
est la perte de vue de qui est Dieu, est un danger qui guette aussi l’enfant de
Dieu. Quand elle se substitue à l’adoration qui est due à Dieu seul, le récit
qui nous est fait de l’épisode du veau d’or en témoigne, l’idolâtrie ne se
limite pas à des sentiments. Elle engendre immédiatement des comportements
coupables, tels que ceux dont firent preuve les Israélites en fêtant leur
idole. Or, ce qui se produisit au désert n’est pas sans lien avec le sujet que
traite Paul ici. Le premier réflexe des Israélites abusés par leur égarement
sera de manger, de boire et de se divertir devant le dieu qu’Aaron avait
fabriqué à leur demande. Paul y reviendra plus tard. Mais déjà, par ce qu’il
relève au sujet des pères, il en appelle à la conscience des Corinthiens. Quel
témoignage à Dieu rend leur participation à un repas, des réjouissances ou une
fête pleine d’amusements rendue par leur entourage à des idoles… même si dans
leur cœur celle-ci n’a pas de réalité ? Plus qu’à leur liberté, c’est à
cette question que ceux-ci feraient bien de réfléchir !
Le second
risque est celui de l’inconduite sexuelle. Le fait rapporté par Paul à ce sujet
à propos d’Israël n’est là encore pas sans lien avec les Corinthiens. Alors
qu’ils étaient à Sittim, face à Jéricho, l’Ecriture rapporte que certains
Israélites commencèrent à se livrer à la débauche avec des filles de Moab. Puis,
entraînés par elles, ils se laissèrent ensuite inviter aux sacrifices de leurs
dieux, en mangeant et en se prosternant devant eux (Nombres
25,1 et 2). La colère de Dieu fut telle envers les coupables, dit Paul,
que vingt-trois mille d’entre eux périrent en un seul jour. La prostitution
sacrée n’est pas le seul apanage des moabites, dans leurs rites de fertilité
liés au culte du dieu Baal. « Sur
l’Acrocorinthe, dit encore Alfred Kuen, s’élevait le temple d’Aphrodite. Selon
certains auteurs, le temple abritait mille hiérodules consacrées à la
prostitution. Selon d’autres, la prostitution sacrée n’aurait eu lieu que lors
des grandes fêtes orgiaques d’Aphrodite[1]. »
Quoi qu’il en soit, le danger était grand pour
les Corinthiens d’imiter ici aussi les Israélites et de pécher de la même
manière gravement devant Dieu.
Le
troisième risque est celui de l’impatience qui saisit le peuple en cours de
route. Oubliant tout ce que Dieu avait déjà fait pour eux, les Israélites
manifestèrent à Son égard leur profond mécontentement au sujet de la
nourriture, toujours la même, qui était leur lot quotidien. Le résultat de leur
colère ne se fit pas attendre. Retirant Sa protection, Dieu les livra à la
morsure de serpents venimeux si bien que, là aussi, un grand nombre disparut (Nombres 21,4 à 6). L’enfant de Dieu qui vit dans ce
monde ne doit jamais oublier que celui-ci n’est pas sa patrie finale. Ici-bas,
nous sommes en chemin vers elle. Les conditions dans lesquelles nous vivons
sont temporaires et, à bien des égards, frustrantes. Comme il en fut pour les
fils d’Israël, il y a toujours danger pour nous d’attendre de Dieu plus que ce
qu’Il nous a promis et qu’Il estime suffisant pour notre pèlerinage. Aussi prenons
garde ! La frustration est un mal pernicieux. Elle est la mère de la
colère, de la revendication et de la provocation. Elle est un venin mortel qui,
une fois entré dans le cœur, tue la vie. Apprenons, pour s’en préserver, la
reconnaissance ! Râler contre les circonstances, c’est râler contre le
Christ qui en est le maître ! Comptons plutôt les bienfaits de Dieu et
considérons tout ce que, depuis le début de notre parcours avec Christ, la
grâce de Dieu nous a donné. Nous verrons rapidement que nous n’avons nulle
raison de perdre patience et d’être en colère.
Le
quatrième risque, proche du précédent, est celui de la révolte, non seulement
contre Dieu, mais contre les autorités mandatées par Dieu pour diriger Son
peuple (Nombres 17,6). Moïse, désigné pourtant
par l’Ecriture comme l’homme le plus humble et le plus patient de la terre (Nombres 12,3), en fera souvent l’expérience. Quand les
choses ne se déroulent pas comme prévues, le peuple a besoin, pour se décharger
de sa responsabilité, d’un bouc émissaire. Or, il y a pour cela un homme tout
trouvé : le dirigeant. Si celui-ci n’est pas parfait, là aussi prenons
garde : se dresser contre un serviteur que Dieu a investi dans sa charge,
c’est se dresser contre son Maître. S’il a péché et mérite d’être repris, des
procédures existent à ce sujet (cf 1 Timothée 5,19-20).
Mais veillons sur notre propre cœur, et ne tombons pas, sous prétexte de commodité,
dans la facilité de l’accusation d’autrui, à plus forte raison si celui-ci est
le berger qui porte le troupeau.
c. V 11 à 13 : conclusion
La
comparaison que Paul fait entre le parcours à risque des Israélites sortis
d’Egypte et celui du chrétien arraché à la puissance des ténèbres le conduit à
une double conclusion :
-
La première touche à la façon avec laquelle le
chrétien doit appréhender les récits et le témoignage que rend l’Ancien
Testament à la marche d’Israël avec Dieu. Bien que l’Alliance que Dieu ait
scellée avec l’Eglise soit nouvelle et différente de celle contractée avec
Israël, les textes relatifs à l’histoire vétérotestamentaire du peuple de Dieu
gardent leur valeur didactique pour le chrétien. Ils sont pour nous, dit Paul,
des exemples destinés à notre instruction. Ils témoignent quelque part du fait
que, comme le dit l’Ecclésiaste, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Ce
qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera (Ecclésiaste 1,9). Les expériences et les circonstances
diffèrent, mais le Dieu qui a porté dans Sa grâce Israël est le même qui porte
l’Eglise, et les causes qui sont à l’origine des chutes d’Israël se retrouvent
dans celles qui provoquent les égarements des chrétiens.
« Comment
franchir le pas qui mène de notre étude du monde de la foi et de la société
d’Israël au monde de notre propre contexte, et que peut-on emporter avec soi
dans le franchissement, questionne Christopher J.H Wright ?... La manière
qui me semble la plus prometteuse est celle qui consiste à considérer la
société et les lois d’Israël comme un paradigme. Un paradigme est un modèle, ou
un schéma, qui permet d’expliquer ou de critiquer de nombreuses situations
différentes par le moyen d’un concept unique, ou d’un ensemble de principes
directeurs. Pour utiliser un paradigme, il faut travailler par analogie, sur la
base d’une réalité spécifique connue (le paradigme), en direction d’un contexte
plus large, ou différent, dans lequel se trouvent des problèmes à résoudre ou
des réponses à trouver, ou des choix à faire. Un paradigme peut aussi fournir
des critères permettant d’évaluer, ou de critiquer, un ensemble de
circonstances ou de propositions, de façon positive ou négative. Le paradigme
peut fonctionner de façon descriptive, prescriptive ou critique.[2] »
Non,
l’Ancien Testament n’est pas caduc pour le chrétien. Il était d’ailleurs, au
temps de Jésus et des apôtres, la seule Bible qu’ils lisaient. Inspirons-nous
des leçons qui s’y trouvent ! Et veillons sur nous, car nous ne sommes pas
plus forts que nos prédécesseurs dans la foi. Ne nous abusons pas
nous-mêmes ! Seule la mise en pratique de la Parole a le pouvoir de nous
garder de la chute (Jacques 1,22 à 25) !
-
La seconde est que, quelle que soit l’épreuve ou
la tentation à laquelle nous sommes confrontés, celle-ci n’est jamais au-delà
de nos forces. Il y va ici de l’honneur de Dieu et de la fiabilité de Ses
promesses et de Sa fidélité envers le croyant. Personne donc de ceux qui
désobéissent à Dieu ne peut prétexter qu’il ne pouvait faire autrement. Le
dire, c’est prétendre que Dieu nous ait placés dans une situation qui était une
impasse. Or, une telle chose est impossible. Avec l’épreuve ou la tentation,
dit Paul, Dieu ménage toujours une issue pour que nous puissions la supporter.
Abraham, appelé à offrir son fils Isaac en sacrifice, ou Joseph, sollicité à
l’infidélité par la femme de Potiphar, peuvent en témoigner. Avec l’épreuve est
aussi prévu le moyen du support et le moment de la délivrance.
V 14 à 22 :
communier avec Dieu, non avec les démons
Arrivé à la fin du développement de sa
réponse à la question posée par les Corinthiens à propos de leur participation
à des repas ou des festivités dans lesquels ils seraient invités à manger des
viandes sacrifiées aux idoles, Paul en appelle au bon sens et à la lucidité.
Non, les idoles devant lesquelles les païens se prosternent n’ont pas de
consistance réelle. Elles ne sont, comme le montrait déjà Esaïe avec ironie,
que du bois et de la pierre (Esaïe 40,19-20 ;
41,6-7). Par contre, les puissances qui sont à l’origine de l’égarement
des païens existent, quant à elles, bel et bien. Participer à un repas dans
lequel des viandes sont sacrifiées à des idoles, c’est courir le risque
spirituel d’entrer en communion avec des démons. Or, le chrétien n’est pas
appelé à une telle communion.
Si les païens ont leur table autour de
laquelle ils communient avec les puissances mauvaises, le Seigneur a pour Son
peuple une autre table. C’est la table du repas du souvenir, moment au cours
duquel le peuple de Dieu, racheté par Christ, se souvient de Son corps brisé et
de Son sang versé. Comme il en est pour les païens avec les démons lors de
leurs festivités cultuelles, la participation au repas du Seigneur n’a pas
qu’un caractère formel ou traditionnel. Elle est un acte qui témoigne de notre
pleine adhésion dans la foi au Christ pour notre salut. Le repas du Seigneur
auquel nous assistons ensemble est un repas de communion réelle avec Lui. C’est
le moment particulier au cours duquel le peuple de Dieu se rassemble et célèbre
son unité en Christ et avec Lui, sur la base de Son œuvre de rédemption. En
buvant la même coupe et en partageant le même pain, nous signifions devant le
monde et les puissances mauvaises que, rachetés, nous faisons désormais partie
de la famille de Dieu.
Si elle appelle à des recommandations
pratiques (ce à quoi Paul va venir), la question soulevée par les Corinthiens
relève d’abord du domaine spirituel. Chacun doit en être conscient : il
n’y a rien de neutre dans ce que nous faisons, dès le moment où s’y trouve
incluse une dimension verticale. La participation des Israélites à l’absorption
des viandes des sacrifices offerts sur l’autel était considérée comme un acte
de communion avec le culte rendu à ce moment-là. Il en est ainsi dans tous les
lieux où une pratique de même nature se fait. Personne ne peut innocemment
participer à un repas d’ordre cultuel sans en être affecté sur le plan
spirituel. Paul le dira avec gravité un peu plus loin au sujet de la
Cène : qui mange et boit lors de ce repas sans discerner le corps du
seigneur (sans comprendre la signification de ce qui se fait ici et ses
implications pour sa vie), mange et boit un jugement contre lui-même (1 Corinthiens 11,29). Soyons donc sages, sobres,
prudents et avisés. Travaillons à ce que rien ne nous sépare de Dieu et jette
un voile de ténèbres sur notre vie ! Il n’y a pas plus grande offense à
Dieu que l’idolâtrie ! Voulons-nous, demande Paul, provoquer la jalousie
du Seigneur, Son courroux pour cause d’infidélité de notre part ? Nous
pensons-nous plus forts que Lui ? Souvenons-nous que Sa bonté seule est à
l’origine de notre salut, que celle-ci nous est librement consentie ! Ne
la profanons pas, mais craignons plutôt qu’Il ne nous la retire (cf Psaume 130,4) !
V 23 à 33 :
directives pratiques
En conclusion dernière à la question posée
par les Corinthiens, quelle réponse pratique lui donner ? Quel usage le
chrétien peut-il faire de sa liberté ? Pour y répondre, Paul fournit à ses
frères trois critères par lesquels ils pourront aiguillonner leur
positionnement :
1er critère : celui de
l’utilité
Rien, dit Paul, n’est interdit en soi. Tout
est ouvert, permis au chrétien. Parmi les options qui s’ouvrent à lui, toutes,
cependant, ne se valent pas. Certaines seront bénéfiques à sa vie avec Dieu,
d’autres ne lui apporteront rien. Certaines seront constructives, elles auront
valeur d’exemple et édifieront les autres. A l’inverse, d’autres ne feront que
satisfaire l’égo du chrétien, pas plus. L’enfant de Dieu ne s’appartient plus.
Il est à Dieu, mais aussi à ses frères. Aussi, c’est en fonction de cette
double appartenance qu’il doit désormais user de sa liberté. Dans ses choix, le
« Il » de Dieu et le « Tu » de ses frères doit avoir
priorité sur le « Je » de l’égo. Paul a déjà traité du sujet
ailleurs, lorsqu’il aborde le thème des forts et des faibles dans l’Eglise.
« Poursuivons, dira-t-il, ce qui contribue à la paix et ce qui est
constructif pour autrui (Romains 14,9). »
Qui ne pense qu’à lui-même dans la façon dont il use de sa liberté ne fait pas
preuve d’esprit chrétien.
2ème critère : celui de la
conscience
Ici encore, Paul ne pense pas d’abord à la conscience
du chrétien, mais à celle de ceux qui le voient agir, en particulier les
incroyants. Lorsqu’il n’est que face à lui-même, le chrétien ne doit pas
laisser sa liberté être entravée par de faux motifs de conscience. Dans le cas
des Corinthiens, cela signifie que si ceux-ci vont au marché, ils peuvent
acheter sans scrupule toutes les viandes qui y sont vendues, y comprises celles
qui ont pu être sacrifiées aux idoles. Hors du lieu de culte où elles ont été
offertes, elles sont comme les autres : de la viande. Elles ne portent sur
elles aucune trace maléfique de l’utilisation qui en a été faite ou du lieu où
elles sont passées. Comme tout ce qui se trouve sur la terre, elles entrent
dans la catégorie des choses que Dieu a créées et qu’Il a mises à disposition
de l’homme pour sa nourriture ou son bien.
Si les chrétiens d’aujourd’hui ne sont plus
confrontés aux mêmes situations que les Corinthiens (du moins en Occident), le
cas pratique traité ici par Paul a valeur de jurisprudence pour des situations
similaires. Prenons le cas du jeu de cartes. Parce qu’il est l’outil qu’utilisent
certains voyants, il est arrivé que des chrétiens, par motif de conscience,
refusent catégoriquement d’en jouer. Selon la logique de Paul, une telle
attitude relève de l’extrémisme. Le chrétien peut sans complexe jouer aux
cartes : il ne pèche pas en le faisant. Il n’y a rien sur ces bouts de
carton qui relève d’un danger pour la vie spirituelle du croyant… si ce n’est
celui que pourrait imaginer faussement celui-ci.
Autre situation est celle dans laquelle se
trouve un chrétien lorsqu’il est invité chez un non-croyant. Si celui-ci n’évoque
rien de l’origine des plats qui lui sont présentés, là aussi le croyant n’a pas
à avoir de scrupule. Il peut manger de tout ce qu’on lui présente. Si, par
contre, l’incroyant précise au chrétien que les viandes qu’il lui présente
proviennent de sacrifices offerts à des idoles, il est préférable à celui-ci de
s’en abstenir. Le motif de conscience qui le pousse à agir de la sorte n’est
pas lié à la sienne, mais à celle de son hôte. En effet, en voyant le chrétien
manger sans scrupule cette viande, l’incroyant peut en tirer de fausses
conclusions. Il peut se dire que celui-ci n’est pas conséquent avec ce qu’il
dit croire au sujet du Christ, seul médiateur entre Dieu et les hommes, ou
penser que le Christ dont il parle n’est finalement qu’un dieu comme les
autres. Le message que le chrétien fait passer auprès de l’incroyant en s’abstenant
de manger la viande qui lui est proposée ici (c’est là tout l’enjeu de l’attitude
adoptée), est plus clair que dans le cas inverse : il a donc atteint son
objectif.
3ème critère : la gloire de
Dieu
Le dernier critère que Paul mentionne est la
clé, l’élément décisif de la position que doit adopter le chrétien en toute
situation. La liberté dont use le chrétien donne-t-elle gloire à Dieu ou non ?
Sert-elle au témoignage que celui-ci veut rendre à son Seigneur ou lui nuit-il ?
S’il est invité chez le non-croyant, le chrétien doit pouvoir, si ce n’est
publiquement au moins dans son cœur, rendre grâces à son Dieu pour la
nourriture qui lui est servie. S’il ne peut le faire à cause de ce que son hôte
lui a dit à son sujet, il s’en abstiendra. Même s’il court le risque de lui
déplaire, il aura cependant témoigné du fait que son allégeance à Dieu a prééminence
sur tout dans son comportement. Or c’est ici, ne l’oublions pas, le but premier
de la vie du chrétien, en privé ou dans sa dimension sociale.
Viser de tout faire pour la gloire de Dieu, c’est
travailler à ce que l’usage que l’on fait de sa liberté ne soit une pierre d’achoppement
pour personne en vue de son salut. Si ma libre façon d’agir en société crée de
la confusion par rapport au témoignage que je suis appelé à rendre sur Christ à
mon prochain, je peux me défendre comme je le veux : j’ai fait un usage
nuisible de ma liberté. En la circonstance, je n’ai pas servi Christ, mais mon
intérêt. Plus que de notre liberté, soyons conscients en société de la façon
avec laquelle les autres, selon leur culture, vont interpréter nos actes. La
grille de lecture par laquelle ils traduisent ce qu’ils voient, selon l’arrière-plan
qui les a façonnés, n’est pas la même que la nôtre. Or, c’est celle-ci, plus
que la sienne, conclut Paul, que le chrétien doit prendre en compte dans le
souci qu’il a de rendre gloire à son Dieu auprès d’eux.
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